•   

     

     

     

     

     

     

     

     

    Je voudrais simplement

    j’insiste, simplement

    une jolie maison au bord de quelque chose

    mais pas trop au bord quand même - il faut laisser de l’espace libre pour que jouent les enfants, qu’ils se mélangent, chantent et crient avec les oiseaux - au bord d’un quelque chose qui ressemblerait à une mer bleue et transparente sans plastique, sans déchets, sans trainée de pétrole

    une mer farouche remplie de poissons et de belles histoires de sirènes, de voyages

    dans cette jolie maison il y aurait

    des gens ordinaires qui auraient un peu peur de l’amour

    une très vieille dame entourée de petits chats gris comme ses yeux

    il y aurait aussi une petite fille déguisée en princesse avec des larmes brillantes dans ses cheveux

    quelques poèmes accrochés dans un grand bouquet d’herbes sauvages

    plusieurs verres de vin blanc sur la toile cirée de la table de la cuisine

    des paires de pantoufles toutes mélangées au pied d’un escalier en pierre

    une fenêtre ouverte sur un jardin couvert de fleurs où se reposerait une très belle et troublante inconnue avec un chapeau jaune et noir

    et devant la porte de la maison il y aurait

    un cheval boiteux et sa petite carriole pleine de foin

    un arbre blanc, très haut, doucement balancé par le vent et l’on percevrait à travers les branches la chanson de Léo Ferré « Avec le temps »

    au loin on remarquerait une colline verte entourée d’un nuage de rêves sombres et mal réveillés

    et plus loin encore, mais on ne la verrait pas, il y aurait la misère, en train de bouffer sa soupe (et sa colère) froide et ça ferait des grands slurp comme dans la chanson de Jacques Brel, mais on n’entendrait rien, trop occupés que nous serions à déguster notre foie gras après avoir déballé nos cadeaux inutiles.

    Finalement, j’insiste,

    finalement, je ne la voudrais pas cette jolie maison !

    Je crois que je vais retourner avec celles et ceux qui font du bruit en avalant leur soupe et leur colère (jaune... et noire !).

     

     


    votre commentaire
  •  La peau du temps

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vieux, très vieux

    peau creusée par le temps

    peau flasque qui s’écroule

    se souvient

    de tout ce qui a été dévoré

    par les chiens au fil des années.

     

    Vieux, très vieux

    avec des mots tordus

    mort-murés

    dit des choses qui inquiètent

    oblige à regarder la mort

    exactement

    précisément notre mort

    qui se tient sur le seuil.

     

    Regardez-le

    un souffle

    et il s’envole

    dans la lumière ou l’obscurité

    on ne sait pas

    on ne saura jamais.

     

    Pleurez si vous voulez

    si vous pouvez

    larmes ou caresses

    ne changeront rien

    il y aura des soirs

    il y aura des matins

    anéantis

    engloutis.

     

    En rire

    encrer encrier

    écrire la nuit avenir

    ravalement de façade

    mais voir les oiseaux

    se fracasser sur nos vitres

    teintées d’inconscience

    abandonner les mots insignifiants

    jeter la parole

    sur des sentiers impraticables

    ici ou ailleurs

    quelque chose de noué

    dans la gorge

    langue étrangère

    noyée en mer des sarcasmes.

     

    Et aussi, aussi

    nous serons nus

    sans autre peau que la colère

    colère de passage

    attrape nigauds

    immense chagrin

    dans les yeux bleus

    d’un ciel sauvage.

     

    Mais surtout, surtout

    nous pourrons peut-être

    chanter dans les cimetières

    mariner entre les tombes

    en compagnie des particules

    entre jouissance et mélancolie

    partager la folie du vent

    sur nos épaules

    endormies

    en ouvrant les plis de nos rêves.

     

    Et encore, encore

    même si l’improbable est certain

    il sera toujours temps d’apprendre

    le sable et la vague

    la cicatrice et la plaie

    l’ombre et le feuillage

    la pluie et le sanglot

    la mort et l’horizon

     

    Et puis enfin, enfin

    une vieille femme dans la neige

    ses yeux comme deux lacs verts

    l’aube dans ses cheveux.

     

     

    "Nuages" de Django Reinhardt


    votre commentaire
  • Je vous parle... 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Je vous parle d’Aznavour (Shahnourh Varinag Aznavourian)

    de Tristan Tzara, de Zinedine Zidane, de Fernando Arrabal,

    de Tahar Ben Jelloun, de Tcheky Kario, de Rachid Taha,

    de Django Reinhardt, de Leïla Slimani.

    Je vous parle de tous ces français avec des noms étranges

    de la dernière chronique de François Morel sur France inter

    et d’Annie Cordy (Léonie Cooreman) qui n’est pas encore morte.

     

    Je vous parle de tout ce qui se mélange

    des courants d’air entre deux portes

    des douces chaleurs de l’automne

    des dernières guêpes dans nos assiettes.

     

    Je vous parle de ce qui va trop vite ou trop lentement

    de l’orgueil des hommes et de l’étonnement des enfants

    du mystère imperceptible de la vie.

     

    Je vous parle des amours impossibles

    des seigneurs de la guerre

    de mes parents et de mes amis sous la terre

    de la rougeur d’un soir d’octobre

    d’un ciel rempli de trainées d’avions.

     

    Je vous parle des histoires oubliées

    de la belle et la bête

    de Blanche Neige et de son nain très enrhumé

    de la tristesse de Chopin

    et de la chevauchée des Valkyries.

     

    Je vous parle de la nature sacrifiée

    des couleuvres avalées par Nicolas

    du cri de la hulotte sur le toit de la grange

    de celles et ceux qui arrivent au pouvoir et s’en délectent.

    Je vous parle du crépuscule des dieux.

     

    Je vous parle de celui qui grimpe avec audace

    mais qui n’arrive jamais au sommet

    je vous parle de celui qui cherche désespérément l’ascenseur prétendument social

    et qui dégringole plus bas que terre

    persuadé que tout est de sa faute, de sa très grande faute

    et c’est pourquoi il supplie la toujours Vierge, les Michel,  Gabriel et Raphaël ainsi que tous les saints sacrés, de le conduire à la vie éternelle.

    Je vous parle de ceux qui disent « Amen » à tout et à n’importe quoi.

     

     

    Pour accompagner la lecture :

     

    "La marseillaise" de Stéphane Grappelli et Django Reinhardt

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique