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Le temps est nu
le jour se déshabille
les chiens ne sortent plus
le brouillard pèse sur les épaules de la forêt.
Le silence des pierres emplit nos chemins.
On attend des mots qui ne viennent pas
enfermés, ligotés sur la langue de nos secrets.
On contemple les terrains vagues
cherchant un jardin derrière les visages
un jardin d'ombres douces
accroché aux branches d'une flamme
d'un blanc étrange.
C'est l'heure de regarder les yeux de la nuit
sur les trottoirs inondés par nos reflets.
Le ciel a mis son chapeau de pluie
dans nos rêves d'étoiles tremblotantes.
On est cette lumière presque morte
qui réchauffe encore un peu
les couleurs de la vie.
Pour accompagner la lecture :
Liz story -In a sentimental mood (extrait)
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(Dessin de Claire Fauchard)
Nous dansons
Farandole blanche de la sève
à la lisière d'un nuage.
Aventuriers de l'horizon
passagers clandestins d'un temps découvert
piaillant des paroles inutiles
égrenées dans la vase
de nos pensées.
Nous dansons
à la recherche d'un réel
insoupçonné
d'un rêve qui se ferait marin
tout au bord d'un naufrage
étirant le voile de la nuit.
Nous attendons que l'aube tressaille
nous la cueillerons
la nommerons poème
mais n'en serons pas très sûrs.
Nous inventerons des mots
qui tirent la langue
des mots repliés en boule
sous la robe des vagues.
Des mots qui osent dire je t'aime
au souffle du vent.
Pour accompagner la lecture :
"Tokka" de Agnès Obel - Aventine
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Je voudrais écrire des choses faciles : la douce tiédeur d'un lit, les promesses tranquilles autour de la table, l'allure paisible d'un bateau et la blancheur des vagues… mais un jeune enfant blond n'en finit pas de lancer un avion en papier qui s'envole et retombe toujours aux quatre coins de l'absence.
La vie glisse, n'en finit pas de glisser au fond de sa crevasse, puis elle disparaît au creux des ténèbres. Libérée -il parait-, l'âme abandonne le corps comme un vieux sac. Vide.
Quelqu'un est passé parmi nous et nous avons vieilli soudainement. Un homme a tourné le dos aux rayures du ciel. Le jour s'est retiré de ses yeux. On devine son sillage dans l'immense tendresse du crépuscule. Nous continuerons à vivre en grelottant.
Tombe la nuit sur la falaise de glace, tombe la nuit et ses questions sans réponse. Dehors le vent fait claquer les volets. La lune s'impatiente. Pourra-t-elle encore agrandir nos rêves ?
Souriez, souriez donc nom de dieu ! La vie recommence sans faim. La vie danse comme une évidence dans ce pays, sans ombre, sans éclat.
Pour accompagner la lecture :
Gymnopédie n°2, Satie, piano Marcela Rogieri
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(tableau de Gallen-Kallela : lac Keitele)
Arbres dressés
parmi les herbes tremblantes
chemins endiablés
qui dansent sous nos pieds
sauvage félidé à bout de souffle
mais encore indompté
sourire sans épines
devant l'oiseau
aux ailes dépliées.
Bon voyage les amis
dans le grand océan du ciel
je vous rejoindrai
sur le sentier des vagues
je laisserai trainer mes pas
sur le seuil de vos nuits
j'irai barbouiller tous les miroirs
en flagrant délit de mensonge.
En attendant
j'emmerde la mort
et son éternité incertaine.
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Pour accompagner la lecture :
Clotilde Rullaud, extrait de The Walk after Pie Jesu from Maurice Duruflé (In extremis)
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J'habite un pays visité par le soleil
un pays de grands chemins et de forêts aveugles
un pays de ciel et de vent
où la lumière n'en croit pas ses oreilles.
Les étoiles défilent
dans une nuit douce et tiède
qui frémit comme un oiseau apeuré
à deux pas du bonheur.
Mon pays s'ouvre à l'éphémère
au frémissement du sang fou
dans nos bras émerveillés.
Une voix fragile nous appelle
à partager le pain de la mémoire
sur une table recouverte
par le silence de l'arbre.
Il n'est pas encore né
celui qui claquera la porte
sur les doigts de nos rires.
Version audio :
Extrait de "Beast" par Agnes Obel (Philarmonica)
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On solde.
Ça piétonne, ça tamponne, ça bastonne
ça cogne et ça clé à molette
la pierre tremble sous nos pieds
un feu noir entoure la ville
le jour s'enroule sous les pavés
nos pas résonnent dans les rues de briques
l'inconnu nous dévore
bruit métallique
drapeaux déchirés
aux fenêtres grillagées d'un mirage
et tous ces gens qui s'ignorent
sous le soleil.
On solde.
On entend les rêves brisés
comme un secret sur la page
la lune est lasse
des chiffres s'opposent
en courbes et portes closes
dérive de la foule
aux yeux secs
il nous faut traverser le temps
de la fureur
avec nos mèches rebelles
et nos oreilles de rockeurs.
On solde.
Une volée de parapluies
une femme tango
et son regard rouge
pour démêler les lignes
sous la profondeur de la peau
une princesse de la rue
à chavirer le cœur et le corps
un bout de sein qui se glace
des chaussures vernies
une musique allongée sur beau parleur
à fond le bouton volume
vider toutes les bouteilles
entre deux déchirures du ciel.
On solde.
J'achète.
Version audio :
"And she was" des Talking heads
Photos de quelques œuvres de David Moindron,
exposées au "garage", maison de la presse, Les Herbiers (85) -avril 2016
Cliquer sur l'image pour la voir en grand format.
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Je veux une vie en forme de poire
sur la tête d'un clown
(triste, le clown)
avec une petite larme bleue
qui coulerait sur sa joue trop blanche.
Je veux une vie en forme de verset satanique
de chant du départ
de poème à chanter
à tue-tête et à cloche pieds.
Je veux une vie qui monte les escaliers
espérant trouver tout là-haut
une très belle femme
blonde
non
pas blonde
mais nue
ce serait bien si elle était nue
ou presque nue.
Et puis non je suis trop vieux
pour avoir une vie comme ça
et surtout pour monter les escaliers.
Ce serait mieux si ma vie
était en forme de chat
qui ronronne devant sa boite de croquettes
miaule en se frottant
le long des jambes des femmes…
… les femmes, voilà que ça revient
toujours les femmes !
Finalement, je voudrais une vie
en forme de femme
mais je pourrais ronronner un peu
en caressant le chat
et avoir deux ou trois larmes bleues
sur une peau très blanche
et aussi un nez rouge
et j'écouterais la pluie tomber
tout en haut d'un escalier
et je me blottirais entre les draps
qui sentiraient la violette
et je fermerais les yeux…
Version audio :
Extrait de "canon in D" de Erik Satie
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Marcher avec la vie qui pèse (*)
dans la neige
comme un étranger
cherchant la vérité improbable
derrière une frontière.
Fuir les corbeaux
leur gueule en feu
le rugissement noir de leurs ailes
leur insolence en équilibre sur les rochers.
Marcher avec cette lumière longue et verte
frémissant à chacun de nos pas
danser avec la nuit
s'aventurer dans un temps
qui ne dort que d'un œil.
Quitter les autoroutes, refermer les écrans
secouer la poussière des souvenirs
rassembler tous nos sanglots
les jeter à la mer
cheminer sur l'écume blanche de la page.
Marcher
avec pour tout bagage un poème
chercher l'élégance d'un verbe
palpitant sous la cendre
grandir avec le vent
qui tranche nos racines.
Marcher
dans un jardin d'herbe et d'oiseaux
en espérant découvrir
l'insignifiance d'un coquelicot
seul parmi les pierres.
(*) À partir d'un vers de René Guy Cadou :"Je marche ce matin avec ma vie qui pèse."
Version audio :
Extrait de "Ibn El balad" par l'ensemble musical de Palestine.
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Sans qu'on les attende ils sont tombés
au beau milieu de notre silence.
On les découvre dans leur manteau de terre
abandonnés parmi des choses sans importance.
On se dit qu'il va pleuvoir
qu'une tempête va souffler
ils vont disparaître.
Mais rien ne se passe.
Ils sont dans le froid de l'abandon.
On s'arrête un long moment
devant la douce rumeur du temps
les yeux accrochés par un vol d'oiseaux noirs.
Quand viendra-t-elle la nuit ?
On n'en sait rien.
Elle finira bien par arriver
avec des rêves de lumière au fond de sa valise
de la poésie plein les oreilles
des parfums d'herbes folles
de pain d'épices
et du vin jaune et tremblant
plus soûlant qu'une vieille lune.
Alors on reste là, immobile et nu
dans cette évidence
parmi les mots éparpillés
sur la peau blanche d'un chemin
à inventer.
Version audio
"Tokka" de Agnès Obel (album Aventine)
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