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Une nuit j'écrirai un poème qui aura pour titre
remue-méninges
ou ménage... ou manège
... peu importe !
Il fera un temps d'oiseau sans plume
un temps de plomb.
J'aurai, lourds sur l'épaule
deux ou trois mots sauvages et dévergondés
gambadant tels bouillants chevaux
dans la folle inconséquence de leur jeunesse.
Je frapperai de mon poing vengeur
toutes mes vieilles galères
envasées sous le sable d'un fleuve bohémien.
Saoulé de rouges effusions
je deviendrai fragile bateau de papier
ondulant sur les rides d'un trottoir.
Je m'accrocherai, m'entortillerai
sous la brume d'un réverbère
et je parlerai, chanterai, crierai
à la lune incertaine :
"Va, ma belle, abandonne la terre
à ses marées, à ses marins
libère toi de notre pesanteur
ravale tes croissants
pas de quartier!"
Avec elle je me mêlerai aux anciennes étoiles
de ma mémoire en sommeil.
Une nuit j'écrirai un poème
et la lune aura quitté
l'œil de mes nuits.
Version audio :
Extrait de "Clair de lune" (suite bergamasque) Debussy - Zoltan Kocsis au piano
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Un jour j'écrirai un poème qui aura pour titre
l'ombre s'échappe
ou cheval fatigué
... peu importe !
Je n'aurai plus rien à dire
à ceux qui pensent pour nous
qui prient pour nous
et veulent à tout prix
nous sauver.
Je n'aurai plus rien à dire
à ceux qui ont trouvé les réponses
aux plus profonds des mystères
de la vie
et qui nous assomment avec
leur vérité.
Je n'aurai plus rien à dire
à ceux qui marchent, hagards
dans les longs corridors
de leur souffrance
et qui pensent ainsi profiter
d'un paradis à venir
sans flamme
et sans artifice.
Je n'aurai plus rien à dire
aux bons et aux mauvais samaritains
qui se déchirent pour un dieu
unique et différent
suivant le nom de leur pays
ou la couleur de leur peau.
Je n'aurai plus rien à dire
aux innocents ou hypocrites
qui acceptent la misère et l'injustice
en étant persuadés qu'ici bas
tout est mérité.
Rien à dire, plus rien.
Un jour j'écrirai un poème
et je laisserai mon âme fatiguée
de vivre et d'aimer
se terrer sous les graviers.
Version audio
Extrait de "Signes" - René Aubry
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Un jour j'écrirai un poème qui aura pour titre
le temps est loin
ou l'amitié l'amour la joie
... peu importe !
Nous logerons dans une grande maison
entourée de douceur et d'embruns
le ciel fabriquera ses nuages
l'océan inventera des grèves
et le sable balaiera nos yeux
de marchand de rêves inoccupés.
Libre enfin de ne plus besogner
M. sera là parmi nous
debout sur la soixantaine de ses printemps
avec cette lumière intérieure
qui ferait croire en Dieu
le plus mécréant d'entre nous.
Elle aura toujours le même sourire
un sourire à étayer les montagnes
il pourra venter, pleuvoir ou soleiller
les choses ne seront plus en danger.
Nous habiterons dans la beauté de l'instant
dans l'élégance des regards croisés
et dans la générosité des paroles.
Nos mains dessineront des oiseaux.
Nous serons persuadés
de n'avoir rien perdu de nos envies
d'amour, de justice et de liberté.
Il se pourrait même
que nous n'ayons plus peur de vivre
le peu de temps qui nous reste.
Un jour j'écrirai un poème
et nous chanterons à plein cœur
même si les verres ne sont pas remplis.
Version audio :
Extrait de "Setto Bello" - René Aubry - Invité sur terre
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Un jour j'écrirai un poème qui aura pour titre
partons
ou restons
... peu importe !
Nous serons tout au bord de l'océandans une maison gorgée
de pluie et de musique
Béa Tristan sera là devant nous
elle chantera "l'ile tonnerre"
"la route du nord"
et bien d'autres chansons encore
nous partirons avec elle
entre poussière et goudron
dans le déséquilibre envoutant
d'un blues âpre et fragile.
Nous aurons mon amour
des fatigues étranges
sur des chemins en majuscules
nous aurons des oiseaux
au plumage de printemps
dans le creux de nos mains
ils s'envoleront insouciants
des grandes marées et des tempêtes
plongeront dans la folie des vagues
ils nous apporteront
de pleines brassées d'étoiles
pour réchauffer nos paupières.
Nous aurons mon amour
des silences extrêmes
sans ombre, sans tristesse
et des secrets au fond du jardin
sous la terre de nos pères.
Un jour mon amour j'écrirai un poème
et nous aurons vingt ans.
Version audio :
Extrait de "L'ile tonnerre " de Béa Tristan
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Un jour j’écrirai un poème qui aura pour titre
le parfum du vent
ou de la violette
... peu importe !
La violette, je la découvrirai
un après midi de soleil
à demi cachée dans l’herbe d’un talus
je m’allongerai pour la respirer
comme un rêve sous la couette
à cueillir au creux des plumes.
Je m'assiérai sous un chêne centenaire
à l’ombre de la sagesse.
Des milliers d’insectes
poursuivront leur vie mystérieuse
attendant de me grignoter
de toutes leurs mandibules.
Le ciel sera infiniment bleu
sans un nuage où se reposer
mon regard s’y perdra
dans le néant essentiel.
Les doigts raides de la pendule
continueront de tourner
autour d’une vie volage
et débordante
l’incertitude sera belle.
Je pénétrerai
dans le plus éphémère des passages
me faufilerai dans la moindre petite musse
je poursuivrai cette lueur éclatée
dans le sombre de la nuit
le temps rebondira sur mes rides
s’amusera de mes absences
je serai dans le vent des nuages
à voyager sans escale
avec ma violette..
Un jour j’écrirai un poème
qui sentira la violette.
Version audio :
Extrait de "Impromptu in B flat" de Schubert, Ingrid Haebler au piano
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Un matin j'écrirai un poème qui aura pour titre
suspension
ou en marge
... peu importe !
Nous nous réveillerons dans un matin entrebâillé
où le ciel disparaitra dans le soleil.
Une aube printanière
attendra ses oiseaux.
De vieux poètes à chapeau
sillonneront les rues
en clamant quelques vers.
Des vapeurs fumantes
jailliront du fumier
car l'hiver aura gardé
encore un peu de ses frimas.
L'horizon fera des vagues
une prairie serpentera dans le vent.
À la radio Jean Pierre Siméon causera de poésie
en enlevant et remettant sans arrêt ses lunettes.
Il dira exactement :
"La poésie c’est comme les lunettes. C’est pour mieux voir. Parce que nos yeux ne savent plus, ils sont fatigués, usés. Croyez-moi, tous ces gens autour de vous, ils ont les yeux ouverts et pourtant petit à petit, sans s’en rendre compte, ils deviennent aveugles"
Nous aurons envie de faire jaillir un poème
comme une bouture de géranium
sur un terrain vague.
Les mots auront de nouvelles histoires
à chuchoter
et nos yeux inventeront une plage immense
pour faire galoper nos rêves les plus fous.
Un matin j'écrirai un poème
et mes pensées s'envoleront
dans le sillage de mes fenêtres.
Version audio :
Extrait "D'un pas si facile" - Invités sur terre - René Aubry.
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Un jour j’écrirai un poème qui aura pour titre
rien ne change
ou presque rien
... peu importe !
Sans colère ni éclat
nous verrons bruler les jours
pâturant nos prés carrés
au carrefour de nos rues.
Nous roulerons à l'ordinaire
sur des chemins sans démesure
ne guettant aucun mirage
dessous nos paillassons.
Sur nos lèvres closes
un silence fracassant
nous donnera le vertige.
Nous regarderons danser
les balançoires au bout de nos doigts
Dans le vent
les arbres perdront la tête.
Derrière nos rideaux
accablés de froidure
nous attendrons
quelque chose d'impossible.
Puis, brusquement nous découvrirons
sur le talus tout au fond du jardin
la vérité scintillante
d'une primevère.
A cet instant nous aimerons les mots
pour leur secret qui frappe à notre porte
pour les passerelles jetées sur nos entraves.
Un jour j'écrirai un poème
et la lumière et l'ombre
habiteront la même maison.
Version audio :
Extrait de "Liebestraum Nr 3" - Franz Liszt - Misha Dichter au piano
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Matin de brume
dans un aveugle lointain
matin qui hurle en silenceà tâtons sur l'horizon
matin en panne
enfermé dans les ténèbres
emporté à la dérive
à contre courant
d'une aventure à inventer
matin échoué sur le sable noir
d'un rêve de naufrage
matin qui s'amuse
avec mes pelotes de nerfs à vif
matin mal réveillé
avec rimettes au coin des yeux
du soufre au cœur
et de la vague à l'âme
matin auquel il manque une marche
à l'escalier (il va falloir sauter)
matin mutin
joueur espiègle de giboulée
et d'arc en ciel
matin de rosée verte
de jonquilles et de violettes
matin extrême où les mots se taisent
devant un océan d'oiseaux...
Mille et un matins
de poèmes à venir.
Version audio :
Extrait de "Deux petits chaussons " de Charles Chaplin - Cigalia à l'orgue de barbarie
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Un matin j'écrirai un poème qui aura pour titre
sourire blanc
ou le chant des sirènes
... peu importe !
Bien amarré dans un silence
de coquillage
je poserai les pieds
sur des rochers que le ciel
aura pondu dans son miroir.
Je n'entendrai rien d'autre
qu'un silence habillé de clapotis
et la plainte monotone
de la corne de brume
Dans les rondeurs du brouillard
je devinerai l’exclamation suspendue
d’un phare.
Au milieu de la jetée un goéland
regardera la mer puis s'envolera
en criant comme un fou.
Les vagues s'allongeront mollement
sur des galets endormis.
Quelques écueils sortiront de leur chagrin
et se chevaucheront dans un coït immobile
ils secoueront leurs gouttelettes d'argent
sous un pâle soleil voilé.
J'attendrai que le jour ouvre son grand rideau
derrière les maisons du port
comme une cascade d'ombres brillantes.
J'attendrai les cris envoutants
des sirènes.
Un matin j'écrirai un poème
et j'aurai soif de houle
et de tempête.
Version audio :
Extrait de "Gymnopédie n°3" d'Erik Satie - Brandford Marsalis (Romance for saxophone)
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Une nuit j'écrirai un poème qui aura pour titre
désirs inassouvis
ou libido dissolue
... peu importe !
Tu seras là devant moi
comme une avant-dernière pensée
et je te prendrai dans un tableau
sur un thème de Jean Cocteau
avec Satie au piano.
Sur un mur ou un vaisseau
sur un arbre ou sur un pont
je te prendrai
en tous sens, à quatre mains.
Distinguée, désagréable
héroïque ou desséchée
flasque et dégoûtée
je te prendrai
en manière de commencement.
En prélude ou matinale
en redite, en prolongement
en sports et divertissements
je te prendrai
en parade
et même en habit de cheval.
Oui, je te prendrai
immensément.
Une nuit j'écrirai un poème
pour toi, qui ne voudras sans doute pas
de ce gros bonhomme en bois.
Version audio :
Extrait de "La campanella" de Franz Liszt par Misha Dichter.
Une majorité de mots de ce texte ont été pris dans les titres des oeuvres d'Eric Satie.
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