• Hip ip ip...

     

    Hip ip ip...

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Rumilly 8h14, du brouillard partout, le train avance dans le gris-souris.

    Aix les Bains, une bande de brume s'efface au dessus du lac, bleu du ciel, bleu de l'eau, sillages de canards, bateaux immobiles, un pêcheur

    TUNNEL

    dans le wagon les gens dorment ou jouent avec leur hip hip hip hippode, hip hip hip hippade, font glisser leurs doigts, ne voient rien d'autre, trop habitués peut-être pour rester béatement devant ce spectacle d'un matin d'automne

    TUNNEL

    lumière sur la roche, nuages légers au loin vers la Suisse

    TUNNEL

    des cygnes se redressent, battent des ailes comme pour nous saluer, je leur réponds, village perché sur une petite colline, église, château en ruines

    plus de lac, marécage, forêt, soleil, cimetière de bateaux, le Rhône

    Culoz, aiguillages, des wagons partout, petites locomotives immobiles, récupération de chemins de ferraille, la vallée se resserre, falaises, un peu de neige sur le sommet.

    Ambérieu, un homme grimace en regardant son écran, comme s'il avait mal ou était dégouté, mais de quoi ? Écharpe posée sur les genoux, il la cramponne de sa main gauche et en tourne le coin, comme un doudou. Et toujours cet air, méprisant, oui méprisant. Mais que peut-il y avoir sur son hip hip hippode ?

     

    Lyon, la gare, la foule et le bruit des valises à roulettes.

    Voilà la très grande vitesse. Difficile pour moi d'écrire à très grande vitesse, ça tremble, se tord, se contorsionne, le crayon ne suit plus la main, quitte la page blanche, me faudrait un hip hip hip ! Je n'en ai pas, alors je dors.

    C'est à ce moment que ma mère arrive avec des chrysanthèmes plein les bras. Elle avance vers moi et dépose ses fleurs à mes pieds en marmonnant des paroles inaudibles. J'ai froid, un froid de pierre et de terre. À côté de moi, bien allongé, mon père ronfle, mon père mort, avec qui je n'ai jamais partagé la moindre bière. Je crois entendre dans la brume la voix lointaine d'un petit garçon. Il regarde un match de football,

    il appelle,

    c'est l'équipe des Brouzils,

    il appelle,

    l'équipe des loups de Grasla en jaune et noir,

    il appelle son père à la buvette.

    Il appelle dans le vide le petit garçon. Ma mère le prend dans ses bras et l'emmène avec elle dans une drôle de petite voiture hip hip hippomobile, trainant derrière elle une remorque remplie de pots de chrysanthèmes qui tombent sur la chaussée à la moindre secousse. Moi je ne les quitte pas des yeux jusqu'à ce qu'ils disparaissent. Je voudrais sortir, bouger, rêver, ramasser les fleurs … Mon père, alors, de sa grosse main dure et crevassée de maçon me tape sur l'épaule et dit :"Vas-y, suis les !". Mais sa main est trop lourde, impossible de faire le moindre mouvement. Je ne peux que regarder cette longue route parsemée de chrysanthèmes renversées, une route où  il ne reste plus personne.

    TUNNEL

    "Votre billet s'il vous plait". Je n'en ai pas. Je tends la main au contrôleur, il me la poinçonne avec son hip hip hippode et il court dans l'allée en chantonnant : "J'fais des trous, j'fais des trous, je fais des p'tits trous, avec mon Hiiiiiiiiiiipoooooode, avec mon Hiiiiiiiiiiipoooooode….".

    Pour accompagner la lecture :

     

    Dan Gibson "Remembrance"

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